Gorge, coeur, ventre…

16 avril 2017

Compte rendu de la projection du 12 Avril 2016 au Tambour à Rennes.
Projection organisée par L214 & l’université Rennes 2.

Le film se termine, les crédits défilent, la salle reste bloquée dans un silence de plomb. L’atmosphère est d’une lourdeur sans nom. Pas d’applaudissements, pas l’ombre d’un chuchotement, mais la présence de spectres plus diffus encore…

Celles et ceux qui ont quitté la salle pendant le film et qui reviennent pour la discussion nous disent : « on sent qu’il s’est passé quelque chose… »

Que s’est-il passé pendant une heure et demie, dans cette salle obscure ? Pas de sang, pas de gore, à peine quelques scènes volées du côté de la tuerie. Rien à voir avec les vidéos chocs diffusées par L214.

Quoi Alors ?

Sans doute la violence extrême d’une confrontation avec les souffrances incommensurables que nous infligeons aux animaux. Ce que Maud Alpi, réalisatrice du film appelle « un voyage dans la nuit des animaux ». Gorge, Coeur, Ventre est sans nul doute un film qui montre ce que les sociétés humaines s’évertuent à nier.

L’essentiel du film se passe dans la bouverie d’un petit abattoir. C’est le lieu où « attendent » les animaux, de leur arrivée sur le site à la tuerie. C’est un lieu froid, métallique, assourdissant. On y entend continuellement les bruits de grilles qui s’ouvrent, se ferment, claquent, grincent, le bruit des animaux qui se déplacent, qui tombent, qui fuient. Qui essaient de fuir. Les voix des ouvriers chargés de les amener vers la tuerie. Et puis surtout, les cris. Les cris de celles et ceux, surtout celles, qu’on force à se déplacer jusqu’au point où on leur mettra un clou dans la tête.

Etourdissement. Ces cris qui résonnent presque autant qu’ils sont couverts par notre indifférence. Pourquoi ? Des cris de quoi ? Est-ce qu’elles appellent à l’aide ? Mais qui ? Sont-ce des cris de désespoir, de douleur, d’effroi ? Déchirants.

Et nous les regardons.

Une question me revient en boucle pendant le film : Dans quel monde vit-on pour en être réduits à filmer, à regarder, à voir, à savoir, sans rien faire de plus ? La seule attitude supportable serait celle qui consisterait à les sortir de là, à les faire fuir le plus loin possible… mais non. Sidération. Ne devrions-nous pas lutter avec toute la hargne du monde pour qu’enfin cesse cette tuerie ?
La discussion post-film commence. Là aussi d’une lourdeur infinie. Les quatre invité-e-s s’assoient. L’émotion est palpable. Très rapidement, on en vient aux faits, à la gêne clairement exprimée. Comment fait-on pour tourner ce genre de film ?

Maud Alpi exprime avec tristesse que ça n’a pas été difficile ; il suffisait de se concentrer sur le travail, le reste était comme oublié. Qu’il s’agissait surtout de rester sensible, dans un lieu où toute forme de compassion est abolie.

Baptiste Boulba-Ghigna, co-auteur du film, explique avoir suivi la même ligne pendant le tournage, même si peu avant la fin, il devenait nerveux, dormait moins, supportait de moins en moins le cadre.

Tous deux s’étonnent que personne n’ait « pété un plomb ». Que personne n’ait voulu arrêter, abandonner.

Les rouages du système sont-ils à ce point huilés ? Pourquoi oublions-nous si vite ?

Émilie Dardenne, chercheuse en éthique animale, et Fleur, représentante L214, s’étonnent elles aussi des stratégies de mise à distance employées. Emilie Dardenne semble mettre à distance la souffrance animale en la contenant dans la recherche. L’étude de concepts rend la réalité plus abstraite, plus éloignée, plus supportable. Fleur quant à elle, remarque le paradoxe du militantisme souriant, bienveillant. Aborder les personnes avec tolérance pour discuter de l’intolérable.

Nous sommes, je pense, dans les milieux militant pour la libération animale, complétement pris-e-s dans un paradoxe insolvable. Défendre celles et ceux que notre société refuse d’entendre et de considérer, sachant toutes les souffrances engendrées, et le faire avec bienveillance, gentillesse, pédagogie. Répondre à la violence du système par le calme, le pacifisme.

Est-ce une stratégie d’action ? Ou est-ce que nous sommes nous aussi, militant-e-s, soumis-e-s à l’impératif spéciste, qui suggère que la souffrance des animaux n’est pas à considérer au même plan que les souffrances humaines ¹ ?

Notre détermination fera-t-elle la différence ?

Élodie

Références :

1 des hommes, blancs, riches, cela va sans dire….