Réflexions sur l’esclavage des bêtes

22 juillet 2015

Cet article est paru dans la revue « Gargarismes », qui sort tous les trimestres à Rennes : > plus d’infos par ici <.

 

Soyez la crainte et l’effroi de tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel, comme de tout ce dont la terre fourmille et de tous les poissons de la mer ; ils sont livrés entre vos mains. La Bible – La Génèse 9 :2

Le monde des animaux est un monde conscient et sensible. Pour les humain-es, le monde des animaux comprend différentes sous-catégories d’animaux. Chaque sous-catégorie a une fonction particulière qui varie selon les cultures : ici des restes de chiens sont à consommer, là ce sont des restes de cochons. Partout, nous récusons l’entièreté des animaux. Notre considération à leur égard est plutôt sélective : tantôt nous distribuons des caresses, tantôt des coups. À chaque fois selon nos intérêts propres.

Les morceaux d’animaux sont massivement présents dans notre quotidien. Ils participent à la plupart des moments de convivialité culinaire que nous partageons. Ce sont des restes imbibés de douleur que nous mastiquons le plus souvent paisiblement : un grand minimum de 60 milliards d’animaux sont produits et tués chaque année pour nos « besoins ». En france, chaque personne consommerait par an une moyenne 67,7 kg de viande. Pour une commune comme Rennes, qui dépasse les 204 000 habitant-es, je vous laisse calculer les tonnes de chair nécessaire. Et surtout, je vous laisse essayer d’évaluer la quantité de souffrance animale que masquera le résultat trouvé.

Toujours la même banalité : très-très rares sont les occasions où nous tenons compte des souffrances que nous infligeons aux bêtes. Selon des préceptes identiques à ceux de la bible, nous choisissons d’user des animaux pour les spectacles – cirque et tauromachie par exemples – ou les produits dérivés – laine et œufs par exemples – ou encore dans l’expérimentation animale – l’université de Beaulieu de Rennes a ainsi ses propres élevages pour ses « recherches ».

Partout, sur la quasi-totalité du globe, il est impossible d’échapper à cette banalisation et à cette consommation d’animaux.

La chair à Rennes.

Concernant spécialement le viandisme, en 20 ans, le paysage rennais a connu un changement que peu de gens s’accordent à considérer. Lors des déplacements en ville, on ne croise plus autant de boucheries avec leurs produits exposés : langues, épaules, cervelles et carcasses dépecées. Dans les boucheries qui subsistent, la chair animale n’est plus fièrement crochetée dans les vitrines comme auparavant. Notons par ailleurs que plusieurs magasins de fourrure ont aussi mis la clé sous la porte.

Bien sûr, ça ne signifie pas que le sort fait aux animaux est meilleur. C’est simplement que les signes ostentatoires de consommation d’animaux ont perdu un peu de leur superbe et se sont modifiés. Les morceaux de bêtes sont plutôt étalés maintenant surtout dans les (super)marchés et les biocoops, avec toujours la même violence intrinsèque.

Parallèlement à cela, certains restaurants et certains snacks se sont adaptés aux nouvelles habitudes alimentaires végétariennes, voire végétaliennes. La difficulté pour trouver en ville un repas qui tend à éviter l’exploitation animale est maintenant moins grande.

Des changements sont donc en cours.

une3Ne plus mâcher… nos mots.

Les désastres écologiques et des « maladies animales » successives auront sans aucun doute très largement contribué à cette évolution. Cependant, les divers groupe de libération animale qui se sont succédés à Rennes ces dernières années ont aussi participé à ce changement, à leur mesure et avec leurs moyens. On pense ici au Collectif Antispéciste de l’Ouest ou au Koala. Avec eux, le problème de l’exploitation animale a pu voir le jour publiquement, de façon certes insuffisante et irrégulière mais malgré tout dérangeante pour le spécisme généralisé (1).

Il y a quelques années, la prise en compte des intérêts des animaux était inconcevable et décriée. Divers groupes de gauche caricaturaient, viraient ou censuraient les membres ou les sympathisant-es qui dénonçaient les actes injustes subis par les bêtes. On se souvient du sarcasme et des insultes : « brouteur d’herbes », « révisionniste », etc. On se souvient aussi d’avoir été fouillé-e à l’entrée d’un événement anarchiste où nous devions tenir une table de presse.

Ces situations déplorables ne se produisent plus, non pas parce que la gauche s’est améliorée, mais parce que l’activisme pour la libération animale n’est plus aussi incisif à Rennes.

Les résistances pour garder les bénéfices de l’oppression animale fonctionnent sur le même mode que pour d’autres systèmes de domination : il ne faut pas que l’analyse et les actes froissent les dominants. Par exemple, dans le racisme, comme dans le patriarcat, la critique et l’opposition à l’oppression ne sont tolérables que si elles n’impliquent pas personnellement et intimement : que si les blanc-hes ou les hommes gardent leur pouvoir, que si elles ne remettent pas en cause les bénéfices des oppresseurs. En bref, l’opposition au pouvoir des dominants n’est tolérée que quand elle est non-menaçante. Dans le cas contraire, des réactions épidermiques de défenses surgissent bruyamment, violemment. Il en va de même avec le spécisme. De façon générale, y compris dans le milieu « progressiste », le végétarisme et le végétalisme sont tolérés tant qu’ils sont pratiqués comme une spécificité culinaire dépolitisée. Autrement : réactions épidermiques contre les rabats-joies. Voilà ce qu’ont appris à leur dépend les activistes de la libération animale. Et c’est ce qui explique les désormais plus nombreux « picnics vegans ».

Cependant, même si les activistes de la libération animale reçoivent toujours les mêmes résistances, illes interpellent maintenant l’ensemble de la population. De sorte que de vastes campagnes, comme celles coordonnées par exemple par le groupe L214, pèsent désormais dans différents espaces. L’impact est prometteur. Et le Collectif Rennais pour les Animaux qui cherche à les relayer ici mérite qu’on consolide ses initiatives.

Retrouver l’élan de l’antispécisme

Nous avons des questions urgentes à résoudre : Pourquoi sommes-nous si insensibles aux sorts des animaux non-humains ? Face aux souffrances, pouvons-nous nous contenter d’un simple :« ce ne sont que des bêtes » ? La présence d’une différence anatomique peut-elle justifier les supplices qu’on inflige ? La satisfaction que nous éprouvons à produire et à consommer des restes d’animaux est-elle suffisante pour légitimer nos actes ? La baisse de la consommation de viande importe-t-elle vraiment pour les animaux qui continuent d’être hachés, menus ?

Les hommes vont-ils continuer à incarner la virilité en défiant une nature animale ? S’agit-il d’affirmer notre franchouillardise par différentes recettes « pinard et saucisson » ? S’agit-il de nous sentir plus humain-es en convivialisant autour d’animaux non-humains violentés ?

Les questions sont nombreuses, et les réponses rares. Pourtant, les logiques acquises dans d’autres engagements devraient faciliter notre réflexion et nous permettre de gagner ainsi en cohérence pratique.

1. « Le spécisme est à l’espèce ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe : la volonté de ne pas prendre en compte (ou de moins prendre en compte) les intérêts de certains au bénéfice d’autres, en prétextant des différences réelles ou imaginaires mais toujours dépourvues de lien logique avec ce qu’elles sont censées justifier. » Les cahiers antispécistes

Yeun
– seul responsable mais –
avec les bons conseils de Coco.

Article issu du journal « Gargarismes » : Edition du 28 octobre 2014.