Violence sur les animaux de compagnie, une logique sociale

5 février 2017

Des hurlements résonnent dans une rue de Rennes en pleine nuit.

Les cris d’une femme, déchirants et inquiétants. Quelques voisins s’attroupent (très peu), nombreux sont à leur fenêtre et contemplent la scène : des objets épars sur le sol au bas d’un immeuble, du sang, le corps immobile d’un chat. La jeune femme qui crie et sanglote est là, elle semble en état de choc.

Quelques personnes tentent de la ramener au calme, elle se met alors à raconter. Elle s’appelle Delphine, elle a 25 ans.

Dans la soirée, Delphine, qui partage un appartement avec sa famille, se dispute violemment avec l’une de ses sœurs, coups, cris… elle se rend dans la chambre de cette dernière et jette par la fenêtre son ordinateur. 10 étages…
Furieuse, sa sœur entreprend de jeter à son tour les affaires de Delphine, des vêtements, objets, produits de toilette, et pour finir, le chat de Delphine, blotti dans sa caisse de transport.
Arrivée sur le goudron la caisse explose, le chat meurt sur le coup.

On appelle la police, celle-ci se déplace, interroge Delphine et repart. Il est minuit et demi. Les policiers ne questionnent personne d’autre, ne prennent pas de cliché. Avant de partir, ils demandent à Delphine si son animal était identifié (elle répond qu’il ne l’était pas) et lui font observer que c’est pourtant une obligation légale.

Dans les jours qui suivent, Delphine se rend au commissariat pour porter plainte, elle souhaite dénoncer l’acte de cruauté envers son chat. Les policiers qui la reçoivent l’en dissuadent, prétextant que la procédure serait très longue et qu’elle risquerait elle aussi de gros ennuis pour avoir jeté l’ordinateur.
Delphine ressort du commissariat sans avoir porté plainte, avec le sentiment de ne pas être allée au bout de ses engagements.

 

Article 322.1 du code pénal : « La destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. »

Article 521.1 du code pénal : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Voici donc ce que la loi française prévoit dans le cas de chacune des deux sœurs.

Il ressort de la comparaison de ces deux articles de loi que la peine encourue pour avoir détruit ou détérioré un objet appartenant à autrui ou pour avoir commis un acte de cruauté envers un animal, entraînant sa mort, est en théorie la même…
Même si souvent ce type d’affaire est classé sans suite, ou si les peines effectives, lorsque la procédure aboutit, ne vont en général pas jusqu’au maximum prévu par la loi, il n’en reste pas moins que casser un ordinateur ou tuer un chat ont la même gravité aux yeux de la société.
Ce qui ramène la valeur d’un être sensible au rang de celle d’une chose.

Pourtant le 26 févier 2015 la loi française a enfin reconnu les animaux en tant qu’êtres sensibles et non plus objets, ou « biens meubles » comme ils étaient considérés jusque là.

Article 515.4 du code civil : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. »

Alors si Delphine et sa sœur portent plainte l’une contre l’autre, qu’en est-il de cette reconnaissance dans la réalité, sachant qu’elles risquent théoriquement la même peine ?!

Autre question soulevée ici : la police est tenue de prendre la plainte d’un.e citoyen.ne.
Découragée, intimidée à l’idée des risques qu’elle encourait elle-même et de la durée des procédures (sans garantie qu’elles aboutissent), Delphine ne s’est pas sentie de taille. Sa plainte aurait normalement dû faire l’objet de l’ouverture d’un dossier.
Là encore les dommages causés à un être reconnu comme sensible par la loi française, ainsi qu’à sa responsable légale (car en fait l’identification officielle n’est pas indispensable pour établir la propriété d’un animal), sont niés, avant même que toute démarche juridique puisse être entamée.

Voici donc une société qui élabore des règles innombrables et sophistiquées, reconnaissant aux humains des devoirs envers les animaux, des obligations et des interdictions, concédant parallèlement certains droits aux animaux, et qui dans le même temps peine à intégrer ces droits comme sérieux, inviolables.

Comment ne pas comprendre, voire excuser ou minimiser la violence dont les animaux sont les objets au coeur des familles, dans les foyers, puisque la société ne soutient pas la défense des droits qu’elle leur accorde elle-même ?
Comme elle leur fait elle-même subir une violence permanente (en autorisant leur consommation, leur exploitation, etc), sa position est évidemment ambivalente.

Les associations nationales de protection animale qui possèdent un service juridique reçoivent quotidiennement des signalements pour maltraitance, négligence ou mauvais traitements envers les animaux, et des appels pour des plaintes déposées ou à déposer.
Certaines de ces associations sont habilitées à faire des enquêtes directes pour constater les cas de maltraitance, et peuvent se porter partie civile auprès des tribunaux pour défendre les animaux. Une petite quantité d’affaires sont menées à leur terme, aboutissant à un jugement et non à un classement sans suite ; une minorité encore aboutit à la reconnaissance des faits et à une condamnation. Les associations obtiennent parfois l’interdiction de détention d’un animal de compagnie aux personnes ayant commis des actes de cruauté.
Cela en dit long sur la résistance générale à accorder aux animaux une véritable considération.

Si l’officialisation des droits, devoirs et interdictions semble la moindre des choses dans une société organisée avec tant de soin autour des questions morales, la réponse policière, juridique et pénale ne peut pas être considérée comme une solution satisfaisante à la question des violences faites aux animaux dans le cadre privé.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’une reconnaissance qui demeure surtout symbolique, marquant brutalement le décalage entre le pouvoir exercé sur les animaux et l’engagement réel à les considérer et à les protéger.

C’est à un regard sur le fonctionnement de notre société, éminemment spéciste, sur la distance, voire la distorsion entre officialisation de l’éthique et acceptation engagée de la sensibilité animale que l’histoire de Delphine nous amène.

Ce n’est qu’un fait divers parmi tant d’autres.